MONTRÉAL – Un dimanche matin du mois de juillet, vous vous dirigez vers le club de golf pour votre partie hebdomadaire en compagnie de vos amis.
Comme chaque semaine, quelques dollars sont en jeu pour pimenter votre avant-midi entre amis. À la différence que cette semaine, on vous retire trois bâtons de votre sac de golf pour votre ronde.
Même privé d'outils de confiance dans votre coffre, vous devez trouver le moyen de jouer à la hauteur de vos standards afin de mettre la main sur le montant en jeu. Compliqué, pas vrai?
Rassurez-vous, les Québécois Joey Savoie et Brandon Lacasse ont droit à tous leurs bâtons sur le circuit PGA Tour Americas. Mais à une échelle bien plus grande, cette analogie illustre un peu leur réalité, alors qu'ils doivent viser l'excellence même s'ils sont privés de plusieurs outils primordiaux.
Et dans leurs cas, performer dans ces conditions est un passage obligatoire – d'abord pour réaliser leur rêve d'atteindre la PGA, mais surtout pour avoir un salaire et pouvoir joindre les deux bouts semaine après semaine, car la sécurité financière est un outil dont ils sont dépouillés dans leur carrière.
Parce que non, tous les golfeurs professionnels ne touchent pas des dizaines de millions de dollars annuellement comme le fait Scottie Scheffler, aussi bons soient-ils.
Dans un circuit comme le PGA Tour Americas, qui distribue 225 000 $ de bourses totales chaque semaine, Savoie et Lacasse ne peuvent pas vraiment se permettre de simplement viser les rondes de la fin de semaine. Ils veulent gagner comme athlètes, mais ils veulent surtout gagner pour avoir un salaire.
« Il ne faut pas que tu aies la mentalité de jouer pour passer la coupure et être payé. Si tu finis à égalité 60e dans un tournoi du PGA Tour Americas, tu ne vas pas faire beaucoup d'argent. De la manière dont notre circuit fonctionne, si tu joues la coupure, ce n'est pas la bonne mentalité. Tu ne feras pas d'argent », prévient Savoie dans une généreuse entrevue accordée au RDS.ca.
« En fait, ce n'est pas un sport où il faut que tu te concentres à faire un chèque. Il faut que tu te concentres à essayer de tout faire pour de gagner le tournoi. C'est là que tu avances. […] On n'est pas sur le LIV, on n'est pas sur le PGA Tour où quand tu finis le dernier du classement, tu fais 15 000 $. Si tu finis le dernier du classement, tu ne fais rien. »
Sur le PGA Tour Americas, les six premiers tournois de la saison sont disputés en Amérique latine entre la fin mars et la fin mai. Que ce soit en Argentine, au Pérou ou au Brésil, une semaine de compétition peut coûter entre 1000 et 3000 $ aux golfeurs, selon les choix de vols d'avion et d'hébergement.
Puisque les athlètes consacrent la majorité de leur temps à leur entraînement et à leurs compétitions, il leur est également impossible de se trouver un emploi, même à temps partiel, pour arrondir les fins de mois.
« J'ai travaillé fort et j'ai performé pour arriver à avoir assez de commanditaires comme présentement. Il y a quelques années, quand je manquais la coupure, ça m'arrivait d'être pas mal plus serré la semaine suivante », se rappelle Lacasse au bout du fil.
Au final, ce sont les commanditaires qui permettent en grande partie à Savoie et Lacasse de poursuivre leur carrière. Sur le circuit, le gagnant touche une bourse approximative de 40 000 $, alors que les chèques attribués aux deux joueurs suivants chutent respectivement à 24 000 $ puis à 15 000 $. Savoie est d'avis que pour se sortir indemne d'une semaine de compétition financièrement, un top-20 est le résultat nécessaire.
Ce qui est vrai financièrement l'est également au niveau du classement.
« Tu es mieux de gagner un tournoi, puis de manquer cinq coupures, que de finir top-30 à tous les tournois, tant au niveau monétaire qu'au niveau des points », explique Savoie.
Loin de ses repères
Quand l'unique standard de succès est aussi relevé, il va de soi de croire que la présence constante d'un entraîneur et d'un cadet est la première étape vers la gloire. Dans le cas de Savoie, sa présence sur l'équipe de Golf Canada lui permet d'avoir accès à un entraîneur la majorité du temps, même en Amérique latine, un avantage qu'il se compte chanceux d'avoir.
Mais pour Lacasse, l'histoire est différente.
Sans entraîneur pour le suivre au sud, la seule ressource à laquelle Lacasse peut se fier est généralement un cadet fourni par le PGA Tour Americas qu'il peut se payer. Et souvent, ce cadet ne parle qu'espagnol.
« Mon cadet là-bas, ce n'est souvent pas le même et parfois, on a de la difficulté à se parler. Quand je veux quelque chose, il ne me comprend pas donc ce n'est pas évident. Au Canada, je vais être capable d'amener un ami ou même mon entraîneur. Avoir un cadet ou un entraîneur qui te suit à temps plein, ça fait une grosse différence », confie Lacasse.
Souvent, le cadet en question a donc l'unique tâche de porter le sac des joueurs sur le terrain. Bien qu'il s'agisse d'un élément en moins à gérer pour les golfeurs, il demeure largement insuffisant pour aider à la performance dans les tournois.
Un des grands défis de ne pas pouvoir compter sur son propre cadet en permanence est certainement de ne pas avoir recours à une seconde opinion sur le terrain, que ce soit pour la lecture d'un roulé ou encore le choix d'un bâton.
Voilà un autre aspect qui rend la tâche de Lacasse complexe dans sa quête d'excellence.
« J'ai un de mes amis qui est venu avec moi en Argentine. C'était sa première expérience de cadet, mais il joue au golf. Ça fait une bonne différence, d'abord de ne pas être seul en Amérique du Sud dans des places moins plaisantes à être. Avoir un ami comme cadet, ça met 100 fois plus en confiance. »
Gérer plus que ses coups
Si la gestion en solitaire sur le terrain de golf est un bon défi en soi, Savoie et Lacasse ont aussi plusieurs autres choses à se soucier, même en-dehors des clubs de golf.
Parce que même s'ils ont accès à de l'aide du PGA Tour pour les réservations, ce n'est souvent pas l'option optimale pour leurs besoins en matière de vols d'avion, d'hébergements ou de transport sur place.
Ainsi, ce sont les golfeurs qui doivent gérer eux-mêmes leur séjour dans les différents pays que le PGA Tour Americas visite.
« Moi, dès que l'horaire sort, donc environ de quatre à six mois avant le début de la saison, je réserve mes affaires. La saison commence en mars, donc mes affaires seront réservées en octobre-novembre. J'essaie toujours de voir de six mois à un an à l'avance pour mes affaires », explique Savoie.
Cette vision, bien que primordiale pour s'assurer de n'oublier aucun détail, n'est pas à l'abri des pépins, comme les blessures potentielles. En ce sens, les golfeurs doivent donc s'assurer d'avoir « un plan A, un plan B et un plan C », pour reprendre les propos de Savoie.
Une des alternatives pour réduire les coûts, c'est celle de partager des hébergements de type Airbnb avec d'autres joueurs. En plus d'être des adversaires sur le terrain, Savoie et Lacasse ont quelques fois été colocataires également.
Mais après une mauvaise ronde, Savoie et Lacasse ont-ils réellement envie de passer du temps avec d'autres personnes? Est-ce un environnement optimal pour performer sur le terrain?
« Moi ça ne m'affecte pas trop, rassure Lacasse. En revanche quand on partage les Airbnb avec d'autres joueurs, il n'y a qu'une seule douche par exemple. Quand il y a des gars qui jouent le matin et d'autres en après-midi, ça peut faire du bruit et réveiller les autres. Parfois on a juste une clé aussi, donc ça peut être compliqué. Mais au final, on s'arrange toujours et ça vaut vraiment la peine. »
« Oui, parfois, tu as besoin de te décompresser tout seul, mais d'autres fois, tu as besoin de décompresser en regardant un match de football ou un show Netflix avec quelqu'un d'autre, ajoute Savoie. Il faut que tu t'entoures de personnes qui te ressemblent plus. Pour moi, ce sont des personnes qui aiment décrocher et parler d'autres choses. »
À respectivement 30 et 27 ans, Savoie et Lacasse s'entendent sur deux choses : ils ont encore l'ambition de gravir les échelons pour jouer sur la PGA et ils n'ont aucune once de regret quant à leur choix de carrière, peu importe les conditions auxquelles ils font face.
« J'adore ça, je ne suis pas fait pour travailler dans un bureau, j'aime les nouvelles aventures. Le golf, c'est ce que j'aime le plus faire et je veux le faire pour travailler. Il y a des hauts et des bas parfois, mais je n'ai jamais regretté. Je vais continuer de le faire tant que je le peux », de lancer Lacasse, un discours partagé par son compatriote Savoie.
« J'ai des aspirations de faire le plus haut, parce que si mon aspiration était de rester ici, c'est un peu comme l'aspect de faire la coupure. Si tu vises la coupure, c'est parce que tu n'avanceras pas, puis tu vas probablement plus la manquer qu'autre chose. Je vise le plus haut niveau d'excellence que je peux. Il n'y a aucune roche qui est laissée de côté », souligne Savoie.
« Aucun regret. Zéro regret, a-t-il martelé. J'ai été sur l'équipe canadienne sept ans. J'ai fait le tour du monde. Je suis allé au Brésil. J'ai mangé des steaks argentins. J'ai adoré ma vie. Je n'ai aucun regret. Si c'était à refaire, je ferais la même chose. »